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Les multiples talents de George Sand

Le salon Biencourt

Toute sa vie, George Sand a mis la main à l’ouvrage. Les travaux d’écriture, d’aiguille, le dessin et la peinture remplissent ses heures de labeur et de loisir.

Tirer l’aiguille

Les nécessaires à couture de George Sand et ses productions cousues ou brodées rappellent que coudre, broder ou tapisser sont des activités inhérentes à sa condition de femme en un siècle où la norme sociale impose des activités différenciées selon les sexes. Les travaux d’aiguille, indispensables au sein de n’importe quel foyer domestique, s’exercent dans le cadre d’une autarcie vestimentaire ou permettent de créer et d’orner toutes sortes d’objets utilitaires ou futiles. George Sand elle-même prend l’habitude de confectionner ou d’agrémenter ses vêtements ou ceux de ses proches.

L’intense pratique théâtrale développée dans sa maison l’oblige à participer à la création des costumes des comédiens de Nohant et des marionnettes de Maurice ; puis, devenue grand-mère, elle habille les poupées de ses petites-filles.

La régularité de la vie à Nohant permet à George Sand de consacrer de nombreuses heures à tapisser ou à broder. Elle s’étonne elle-même du temps qu’elle y passe mais n’estime pas pour autant que ce temps est perdu puisque les gestes répétés machinalement permettent à son esprit de se reposer ou de s’évader.

Elle apprécie aussi de passer du temps auprès de ceux qu’elle aime : durant les veillées, autour de la grande table du salon, tirer l’aiguille entourée de ses proches eux-mêmes occupés à lire ou dessiner, est alors un joli prétexte. Dans son autobiographie, Histoire de ma vie, George Sand évoque le travail à l’aiguille comme une récréation qui la passionne quelquefois jusqu’à la fièvre. Elle compare la peine que les femmes se donnent à l’ouvrage en maniant une aiguille, à la peine du paysan bêchant la terre. Coudre, broder ou tapisser ont également permis à la femme Sand, qui a tant rêvé d’égalité sociale, de se faire ouvrière au même titre que sa mère qui, d’origine modeste, était modiste à Paris.

Le salon Biencourt
Costumes de marionnettes et trousse de couture

© Maison George Sand / Centre des monuments nationaux

Dessiner et peindre

George Sand compte parmi les écrivains-dessinateurs les plus productifs de son siècle, à l’égal de Balzac, Hugo, Musset, Gautier... Ses productions graphiques sont pourtant rares dans les collections publiques.

Le dessin, au même titre que le chant, la danse ou la musique, est un art d’agrément auquel les jeunes filles de bonnes familles doivent se confronter afin de devenir de parfaites maîtresses de maison et femmes de compagnie. La romancière dénonce cette éducation misogyne, en particulier dans son roman Valentine (1832).

Elle apprend donc à dessiner, s’y appliquant sous la férule de son aristocratique grand-mère. Avant que le métier d’écrivain ne s’impose à elle, elle pense pouvoir gagner sa vie en ornant toutes sortes de petits objets utilitaires. Tout au long de sa vie, à ses heures perdues, la romancière continue à dessiner ou à peindre à l’aquarelle une grande variété de sujets : autoportraits ou portraits de ses proches, scènes champêtres, fleurs, paysages de fantaisie ou pas, oiseaux, châteaux féériques ou modestes chaumières…

Dans les années 1860, en pleine période d’études minéralogiques, elle découvre la technique dite des « dendrites ». Quelques gouttes de gouache écrasée entre deux cartons de bristol forment des arborescences ressemblant aux infiltrations dendritiques visibles dans certaines roches. Autour de ces « taches », George Sand peint à l’aquarelle toutes sortes de paysages dans lesquels, tardivement, elle introduit ses deux petites-filles et le chien Fadet.

Comme la plupart des écrivains-dessinateurs de son époque, George Sand s’excuse continuellement de ses « barbouillages ». Le XIXe siècle cloisonne ses artistes : un écrivain n’est pas un dessinateur.

Portrait de Charles III, duc de Lorraine
Paysage champêtre aquarelle dendrite

© Maison George Sand / Centre des monuments nationaux

écrire

L’écriture remplit la vie de George Sand : elle en fait son gagne-pain et la clé de son indépendance. Seule la maladie l’empêche d’écrire et elle ne pose la plume qu’en juin 1876, à la veille de mourir. À une production littéraire vertigineuse, il faut ajouter toutes sortes d’écrits non destinés à la publication. Elle rédige des milliers de lettres, remplit d’annotations variées toutes sortes de carnets, écrit à la hâte des dizaines de scénarios pour le théâtre de Nohant… En couvrant le siècle de son écriture, George Sand use d’une quantité inestimable de feuillets et de cahiers ou de carnets, de papiers à lettre et d’enveloppes, de cachets et de pains de cire, d’encre et d’encriers, de buvards, de plumes d’oiseau puis de métal, de porte-plumes…

Elle écrit à s’en faire mal parfois. Elle a toujours souffert de migraines ophtalmiques, sa vue se fatiguant souvent. Son bras droit et sa main sont parfois ankylosés et elle souffre de douleurs rhumatismales. En 1856, George Sand modifie sa manière d’écrire afin de soulager sa main. L’opération se fait brutalement, en plein milieu de la rédaction d’une lettre. Elle se justifie de ce changement auprès de son amie Pauline Viardot en lui expliquant qu’« ayant la main brisée et contractée de fatigue », une « découverte » lui permet d’opérer ce changement « pour écrire beaucoup plus vite sans trop barbouiller ». George Sand passe d’une écriture très régulière, serrée et penchée à droite, à une écriture droite, plus ronde et élargie, qu’elle conserve jusqu’à sa mort.

Écrire pour être publiée et gagner sa vie distingue George Sand des femmes de son siècle. Écrire est un métier d’homme. L’écriture lui permet donc d’échapper à sa condition de femme, contrairement aux travaux d’aiguilles ou au dessin.

Lettres et nécessaire à écriture

© Maison George Sand / Centre des monuments nationaux

Par goût, je n'aurais pas choisi la profession littéraire, et encore moins la célébrité. J'aurais voulu vivre du travail de mes mains...

Sa main tenant la plume fut sans aucun doute son outil de travail. Qu’elle tienne une plume, un crayon ou une aiguille entre ses doigts, George Sand est une femme à l’ouvrage. Le travail, la fatigue voire la douleur sont son lot quotidien, à la différence de ses contemporaines appartenant à une classe sociale privilégiée qui n’ont pas l’habitude de se fatiguer. Elle condamne d’ailleurs souvent la « mollesse » voire la paresse de ces femmes. L’énergie qui anime le corps de Sand est celle d’une femme qui aime ressentir en elle la force de la vie.

 

Nécessaires pour tirer l'aiguille, peindre, dessiner, écrire

© Maison George Sand / Centre des monuments nationaux

Se priver de travail pour avoir l’œil frais..., porter des gants, c’est-à-dire renoncer à l’adresse et à la force de ses mains, se condamner à une éternelle gaucherie, à une éternelle débilité, ne jamais se fatiguer quand tout nous commande de ne point nous épargner, vivre enfin sous une cloche pour n’être ni hâlée, ni gercée, ni flétrie avant l’âge, voilà ce qu’il me fut toujours impossible d’observer.